PARENTS D'ELEVES
    Il y a en France, bien avant Monsieur le Ministre, 37000 000 de personnes, de parents d'élèves pour parler net, qui feraient tellement, mais tellement mieux le métier de prof que nous... Vous savez, le genre "S'ils bavardent, séparez-les" (ce qui fait, bande de naïfs, deux foyers d'agitation au lieu d'un), "Virez les éléments perturbateurs" (ce qui fait, bande de niais, que d'autres perturbateurs verront aussitôt le jour dans la classe), "Laissez parler jusqu'au bout les élèves" (ce qui provoque aussitôt, bande d'incompétents, l'inattention et l'agitation encore des trois-quarts de la classe qui ne comprennent pas ce que l'élève bafouille)...

    Ah mais ! c'est qu'on sait faire le cours tellement mieux que les profs...     Sans oublier les petits mariolles qui voudraient qu'on apprenne aux élèves l'actualité immédiate et l'art de remplir les chéquiers, vous savez, les trucs utiles, pas comme le latin ou les rois de France, "Il faut vivre avec son temps... "

    C'était quoi sous l'occupation, Monsieur Papon, "vivre avec son temps"?

    Connards.     Il faut dire et répéter aux braves stagiaires qui peinent sous leurs six malheureuses heures de travail hebdomadaire que l'ennemi numéro un, ce n'est pas l'élève, c'est le parent d'élève, qui de toute façon donnera toujours, vous m'entendez bien, toujours raison à son rejeton contre le méchant prof . Le prof, l'école, c'est de l'esclavage, c'est bien connu ! Si l'élève réussit, c'est grâce à lui-même : s'il échoue, c'est la faute du prof!

    Qu'est-ce qu'ils voudraient, ces braves cons ? que l'on n'enseigne plus "comme autrefois" ? L'enseignement est une méthode ancestrale, comme la baise ou la marche à pied : va-t-il falloir baiser sous caoutchouc ou marcher à reculons pour "faire moderne" ? Depuis trente ans qu'on réforme sans cesse l'école, je n'ai jamais senti la moindre modification à la façon d'enseigner un prof dialogue avec ses élèves.

    Toutes ces réformes me font penser à ce que serait la lutte contre le sida, si on se contentait de réformer l'administration des phamacies... ou de repeindre les vitrines... Les réformes passent, la science demeure ... Ce n'est pas moi le prof qu'il faut respecter, c'est le Savoir ...

    Si l'élève entend sans cesse des propos négatifs sur le compte de l'Education Nationale, il ne profitera pas des cours, et surtout empêchera les autres de la faire. Si l'élève n'entepd rien du tout sur l'Education Nationale, il travaillera.     Comment voulez-vous qu'ait envie de travailler un morpion qui entend sans cesse ses parents se plaindre de l'école "qui nemarche pas", récitant son journal ? Nous en avons reçu un comme cela, qui mâchait son chewing-gum en disant que l'herbe de la cour n'avait même pas été tondue pendant les vacances, admirez le niveau. Vous me direz : "Ils ne sont pas tous comme ça" - je veux bien le croire, mais croyez-moi c'est celui-là qu'on ira chercher pour le micro-trottoir au Vingt Heures de la Une...

    Je lui réponds, moi, à la grande gueule : "Il y a quelque chose, Monsieur, qui marche encore moins bien que l'Education Nationale ; c'est la médecine : en effet, nous avons en France 500 000 décès par an : que fait la police ? "

    Et tout le monde s'est marré, et le Monsieur l'a refermée sur son chewing-gum..

    Sans oublier ceux pour qui le prof doit intéresser l'élève : si l'élève n'est pas intéressé, fout le bordel d'emblée, ou insulte le prof, eh bien c'est encore la faute du prof, qui n'a pas su se faire respecter. Un jour une pionne est ressortie en larmes du bureau du proviseur parce qu'elle s'était fait insulter :
    - Mademoiselle, si vous aviez de l'autorité, vous ne vous feriez pas insulter !

    Moi je t'aurais traité le proviseur d'enculé, de pauvre tache et de gros connard, et je l'aurais dénoncé comme n'ayant pas l'autorité pour se faire respecter par son personnel.

    J'ai même une fois fait un cours particulier à deux (j'ai bien dit deux) élèves (des garçons, bien entendu). Dialogue : On veut une dictée. - D'accord, une dictée. - Ah non, pas de dictée. - Bon, recopiez-moi le texte de cet exercice, nous allons le faire ensuite. " Les deux gosses, en alternance, vautrés sur les feuilles, "ah non", "ça ne sert à rien", "j'ai pas envie", "je veux pas le faire".

    Je suis parti en claquant la porte : moi non plus, je n'avais pas envie de faire le cours ; qu'est-ce que c'est que cette religion de l' "envie" à la Françoise Dolto mal digérée ? Est-ce que je fais "c'que j'ai envie", moi ? S'il sont déjà comme ça pour une leçon particulière (il faut le faire ! des problèmes de discipline en leçon particulière !) eh bien ils doivent être joyeux en cours, ces deux-là !

    Et le père qui me faisait les gros yeux et la grosse voix pour me dire que "c'était à moi de les intéresser", que "je ne savais pas faire mon boulot", ben voyons !

... Au lieu de faire chier le citoyen avec un "rendez-vous du citoyen" dont il n'aura que faire, je propose qu'on fasse passer tout le monde par le feu de l'enseignement en banlieue ; qu'on me mette donc tous ces futurs parents d'élèves en face des jeunes fauves, pour leur enseigner ce en quoi il est déjà le plus compétent, plomberie, menuiserie, grec ancien, qu'importe, pour qu'ils se rendent bien compte un peu de ce que c'est que d'avoir en face de soi des galopins remontés à bloc par leurs parents contre l'esclavage de l'école, n'est-ce pas, et qui ne sert à rien !

    Quand je pense qu'il y a des petits merdeux, dans le treizième arrondissement, qui sèchent les cours parce que les profs, eux, ils sont payés, alors qu'eux, ils ne le sont pas Payer les gosses pour qu'ils aillent à l'école, non mais je rêve pourquoi iraient-ils en plus se fatiguer à y travailler, si on les paye ? Ce sont les mêmes qui réclameront plus tard, si ça se trouve, une allocation de simple existence ?

    Ils veulent déjà travailler : comme en Angleterre au XIXè siècle, à partir de dix ans ? tas d'esclaves...

    Je t'en foutrais moi de l'échec scolaire... C'est des ronds de manches de journalistes qui vendent leurs baveux. Tout le monde peut réussir à l'école, à condition de fermer sa gueule et d'écouter, de dialoguer aussi, autrement qu'à coup d'insultes. De quelque classe sociale qu'il soit. Seulement dans certaines classes sociales, dès qu'un gosse est dans un livre, les blaireaux de parents lui gueulent dessus : "Qu'est-ce que t'es là à ne rien foutre ? "

    Pour apprendre à un enfant à se plonger dans un livre, il n'y a pas trente-six solutions : il faut le conditionner, parfaitement, le conditionner. Dès quatre cinq ans, comme pour le piano. Après, c'est trop tard. Il aura toujours autour de lui quelqu'un pour lui dire que "lire ça ne sert à rien" et qu'on n'est pas sur terre pour se prendre la tête".

    Ce qui me fait penser à tous ceux qui critiquent les parents d'enfants prodiges, ou tout simplement qui les "forcent" à faire du violon : "On leur vole leur enfance !

... J'ai entendu l'interview radiophonique de trois jeunes garçons qui chantaient dans les choeurs au festival de La Chaise-Dieu. A l'heure où les jeunes galopins de Haute-Loire sortaient se bagarrer dans les rues pour le fun, ils devaient s'habiller et se farder pour les répétitions.

    Et les jeunes normaux de La Chaise-Dieu de traiter leurs petits camarades de pédés.

    Bénis soient les parents qui écartent les enfants de la racaille des garçons ordinaires, qui leur épargnent les histoires de cul, les vulgarités, les bagarres, les poings sur la gueule et les comparaisons viriles de longueurs de quéquettes aux pissotières ! Parce que c'est ça, l'enfance : le prélude à la vie adulte. "La guerre des boutons", c'est rigolo vu de l'extérieur, par des adultes complaisants et condescendants ; vécu de l'intérieur, je vous le garantis, c'est horrible (surtout quand on a une petite quéquette, haha, très drôle).

    Eh bien merde. Je préfère encore être adulte au milieu de mes bouquins et de mes disques.

    - Ils ne réussiront pas, ils ne seront pas "armés pour la vie".

    Est-il bien nécessaire de vautrer ses gosses dans la vulgarité et le racisme des petits merdeux ordinaires pour les préparer à une vie "réussie" ? Je n'allais jamais jouer avec les autres garçons, moi ; ils ne connaissaient qu'un seul jeu : se battre, se battre, se battre. Quelle riche école de la vie en vérité !

    Quant à ces petits choristes, déjà remarqués pour leur sens artistique, ils bénéficient déjà d'une appartenance à une certaine élite, parfaitement, n'ayons pas peur des mots, élite, et c'est bien ce qui nous est demandé à tous : nous élever. Et non pas nous tremper dans la merde pour nous faire les pieds. Ce que j'ai appris moi pendant mon enfance, c'est l'exclusion. "On joue pas avec toi tu es fou."

    Forcément, je me suis cru supérieur. Ce qui aggravait mon cas inutile de vous le dire. Et encore maintenant : ils ne sont pas nombreux, ceux qui me tolèrent. Vous n'avez qu'à voir les sommes pharamineuses dont je dispose pour faire cette putain de revue...

    Ah, ça mène loin, le thème des "parents d'élèves" ! Il n'y a pas si longtemps encore que les parents paysans venaient reprendre leur enfant à l'école, "pour ce qu'il y fait avec vous de toute façon", afin de les ramener au cul des vaches, "où au moins ça servait à quelque chose". Dans le Médoc, en 1845, le gouvernement a dû batailler comme un beau diable pour faire admettre aux parents, justement, que leurs enfants auraient avantage à fréquenter l'école au lieu de travailler aux champs.

    Les parents n'ont guère changé. Ils aimeraient bien, les garder chez eux, leurs petits génies. Ils en sont encore au stade de la tribu. Ils apprendraient à leurs enfants qu'ils sont les plus beaux et les plus forts, au lieu de les confier à des flemmards pédophiles bien trop payés pour ce qu'ils font... Hélas, ils ne sauraient pas leur apprendre autre chose que leurs histoires de famille ! et force est bien de les abandonner à des maîtres.

    Quelle horreur.

    Attendez, ce n'est pas tout. En 1983 déjà - et l'idée court, elle croît ! - une circulaire m'avait été envoyée pour que je dise : "Que pensez-vous qu'il faille étudier à l'école ? qu'il ne faille pas étudier ?

    Voilà l'école dans la même position que ce pauvre Louis XVI avec ses "Cahiers de doléances" qui furent envoyés au fond de toutes les provinces françaises ; il s'est retrouvé avec la tête dans le panier de son, le Louis XVI. Moi aussi un jour j'ai demandé à mes élèves : "Allez mes chers petits, dites-moi ce qui ne va pas ". Je me suis retrouvé avec un bordel innommable, une impossibilité de faire cours, et tout le monde sur le dos : les parents d'élèves (décidément) et l'administration donc, qui n'a rien eu de plus pressé que de me charger un maximum.

    C'est à celui qui fait son métier de décider. Que penseriez-vous d'un chirurgien qui demanderait "Et qu'est-ce que je vais vous faire, mon cher patient ? Une résection du ménisque ou une tubulation de la trachée ? " Je fuirais en courant. Vous imaginez d'ici les réactions de la populace : "Faut-il conserver l'étude du latin ? ... du dessin ? ... de tout ce qui ne sert à rien ? " Parce qu'il ne faut pas se demander comment elles seront rédigées, les questions.

    Quand je pense que j'ai lu qu'il faudrait "former des petits débrouillards" à l'école ! Pousse-toi de là que j' my mette! c'est moi qui aurai le boulot et pas toi, na na nère ! Dans la vie il y a les baiseurs et il y a les baisés ! Putain la belle idéologie Monsieur le Parent d'Elève ! avec la carte du RPR en pochette-surprise dans le diplôme de fin d'études ?

    Depuis le temps qu'on me bassine avec les "réformes de l'éducation", je n'aî jamais vu la moindre chose se transformer : le prof est en face de ses élèves et fait son numéro, réussi ou raté. Point à la ligne.

    Un prof pour eux ça doit être "comme ci" et "comme ça", ça doit dire "telles choses" et "telles autres" en classe, et avoir telle attitude. Tel uniforme. Comme au Québec, tenez, où un inspecteur contrôle tous les jours ce que le professeur a fait dans la journée motivant, non ? Celui qui s'écarte de la "norme" doit être viré. Quelle norme ? vos souvenirs de 1950? Ecoutez bien : ceux qui critiquent l'école sont ceux qui envoient indirectement les jeunes foutre le feu aux poubelles le soir du réveillon.

    Et je commence à en avoir marre que les responsables soient toujours les enseignants, alors que certains élèves ne veulent rien foutre, et qu'ils ne sont jamais, vous m'entendez, jamais, même montrés du doigt. Il est entendu par la démagogie populaire que l'élève est toujours ce brave gosse qui veut uniquement étudier, et qui est découragé par les notes du méchant prof.

    Qu'est-ce que vous faites, vous, les petits malins, de l'élève qui bavarde sans cesse d'un bout de l'année à l'autre et qui répond à son prof dès qu'il veut se mêler de le faire travailler ? De l'élève qui dort sur sa table en faisant exprès de ne même pas ouvrir son cartable ? On l'a découragé, peut-être? De celui qui n'a rien, mais rien foutu de l'année, et qui veut devenir pilote de ligne avec 4 de moyenne partout ?

    On l'a découragé peut-être celui-là ? On aurait peut-être dû lui coller des 18, pour avoir une prime "au mérite" ? parce qu'il est question de nous rétribuer "au mérite" ! Tout le monde 18, allez donc ! doublez ma paye ! Ma foi si qu'on se casse la tête à encourager nos élèves, mais que va dire celui qui travaille et qui obtient les bonnes notes qu'il mérite, s'il voit que le petit camarade qui a des difficultés familiales obtient 18 uniquement parce que son ivrogne de père lui a tapé dessus la veille au soir ?

    Et pourquoi toujours les fils de bourgeois en tête, et les fils d'ouvriers en queue ? je vais vous le dire, moi : c'est que les familles modestes se comportent exactement comme la famille Deschiens : "Comment tu lisais Yourcenar au lieu de tondre la haie ? Et c'est Yourcenar, peut-être, qui va me la tondre, la haie ? "

    Moi je ne peux pas voir les Deschiens. Ce n'est pas que je manque d'humour, c'est parce qu'ils me serrent la gorge. Parce que le peuple, il est comme ça. Vis-cé-rale-ment anticulturel. Dans le fond il s'en fout que ses enfants ne réussissent pas. C'est comme les plaisanteries racistes quand on est juif une fois, trois fois, ça va ; à la sixième fois, le Juif explose eh bien moi, les plaisanteries anti-intello, ça me fait le même effet.

    Bien sûr que les parents d'élèves ne sont pas tous comme ceux que j'attaque bille en tête dans ces pages. C'est toujours pareil : quelques crétins jettent le discrédit sur l'ensemble ; mais qu'est-ce que j'en aurai connu, des conformistes, qu'est-ce que j'en aurai connu. Et des hargneux. Des venimeux.

    Et des sympas aussi. Qui m'ont bien supporté malgré mon chargement de conneries. Allez c'est fini pour aujourd'hui. La prochaine fois je vous parlerai des jeunes de     banlieue.

    Ca va planer